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Les chroniques de BENCHICOU

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Les chroniques de BENCHICOU Empty Les chroniques de BENCHICOU

Message par espoir Jeu 24 Jan - 15:43

Dans cette rubrique, on publiera et on commentera les chronique du journaliste BENCHICOU.
A vous claviers...
espoir
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Message par espoir Jeu 24 Jan - 15:44

Le retour des "nostalgériques"
Par Mohamed Benchicou

Quelle position prendre devant le viol de sa propre mémoire, de son histoire, et du combat de ses pères quand on n’a pas le privilège d’être «critique de cinéma» ni l’infortune d’être «journaliste arabophone» ? Le cinéaste Jean-Pierre Lledo auteur du film «Algérie, histoires à ne pas dire», nous en suggère une : la position de caniche.
Faire le beau et applaudir à la souillure de sa propre histoire, en vertu d’une obligation de servilité qui s’imposerait aux bienheureux francophones que nous sommes, redevables du prestige de la langue et de la proximité des ors parisiens. Une obligation de servilité ou, allez savoir, un devoir de lâcheté, parce qu’enfin, quand on est de culture francophone et qu’on «réside à Paris», n’est-ce-pas, pourquoi s’autoriser le cran de défendre sa terre ? Le cinéaste répondait à l’article que j’ai eu la félonie d’écrire sur son dernier film, moi le journaliste francophone oublieux de mon statut de supplétif, tout juste bon à être convoqué pour le petit four de juillet ou une larme sur la shoah. Et je dois à la providence de ne pas jouir de la double nationalité, auquel cas ce grave manquement à mon devoir de servilité aurait pris les dimensions d’une trahison nationale. C’est dire à quel point le débat sur la mémoire reste passionnant ! À elle seule, cette bassesse et ce choix de l’injure — étonnant chez un cinéaste qui se pique de pédagogie — m’aurait conduit à répondre ici au nom de notre histoire et de l'exigence de la vérité. M. Lledo devrait savoir que pour avoir chèrement payé mon droit à la parole, il est peu de calibres qui me forceraient aujourd’hui à la censure. Mais je ne le ferai pas, un peu parce que, ma modestie dût-elle en souffrir, je compte réserver mes controverses pour de grands esprits ; beaucoup parce que les humeurs de M. Lledo ne sauraient prendre le pas sur la question essentielle : comment riposter à la terrible propagande des cercles nostalgiques de l’Algérie française ? Car il n’y aurait aucune raison de nourrir des préventions à l'égard du film de M. Lledo, dont le génie ne prête pas spécialement aux débats passionnés, s’il ne s’inscrivait dans cette nouvelle stratégie de réhabilitation du système colonial que l’historien Alain Ruscio, spécialiste de la décolonisation, décrit comme «la stratégie des nostalgériques», du nom de cette mouvance de «réactionnaires» et d’«anciens baroudeurs des guerres coloniales» très active en France depuis quelques années. Une stratégie «dont la loi du 23 février 2005 sur les aspects positifs de la colonisation n’est qu’un épisode», nous dit Ruscio. (1) Et j’aurai sans doute poursuivi ma retenue par égard pour un vieux passé si le cinéaste n’avait cultivé l’aplomb de défendre son droit à la falsification au nom de la liberté d’expression. Car nous sommes bien, avec ce film, en face d’un fait de nostalgérique : farder le colonialisme d’un masque avenant. «Les laudateurs du colonialisme ont réussi le tour de force de faire passer un appareil idéologique des années 30, 40 et 50 du siècle passé comme une nouveauté», note Alain Ruscio. Pour maquiller le visage hideux de la colonisation, les nostalgériques commencent par en donner une représentation fabulée autour de la notion de «colonisation respectueuse», pour reprendre le terme de l’historien, c'est-à-dire celle où colonisé et colonisateur vivaient en totale harmonie. «Il n’y a jamais eu de «colonisation respectueuse» des individus dominés», rétorque l’historien. «La conquête coloniale avait pour seule règle la loi du plus fort. Elle s’est toujours faite dans la violence, au prix de crimes et, dans les cas extrêmes, on peut parler de génocide.» Ce discours sublimatoire du fait colonial, qu’on retrouve dans le discours de Sarkozy à Dakar, est indispensable au pouvoir politique français pour légitimer les entreprises néo-coloniales et les faire accepter par l’opinion comme un providentiel «retour des choses». La stratégie des nostalgériques a pris un tel essor depuis trois ou quatre ans que des universitaires s’en alarment. Catherine Qoquio, universitaire et fondatrice du centre «Littérature et savoirs à l’épreuve de la violence politique, génocide et transmission», parle de «Retour du colonial» (2) «C’est un travail patient et multiforme», souligne Alain Ruscio. C’est qu’en plus d’un puissant lobbying politique, illustré par Henri Guaino et le discours de Dakar, cette entreprise de réhabilitation du système colonial par les «nostalgériques» repose sur un prosélytisme actif, une création littéraire et cinématographique à laquelle sont autant que possible associés des franco-algériens. Les nostalgériques produisent des films, éditent des livres, organisent des conférences, lancent des associations… «L’entreprise de réhabilitation du système colonial conduite par les nostalgériques est basée sur un mouvement de fond dans le monde des idées et des actes», précise Ruscio. Devenus un lobby puissant en France, les «nostalgériques» inquiètent les universitaires qui alertent sur le phénomène. Un ouvrage collectif intitulé Histoire de la colonisation, réhabilitations, falsifications et instrumentalisations(3) vient de leur être consacré qui apporte des rectifications salutaires et qu’on ne saurait trop recommander à nos lecteurs. Il n’y a qu’en Algérie, où l’hypocrisie du pouvoir consiste à interdire un film sans en avouer les vrais motifs à l’opinion publique, où le danger des nostalgériques bénéficie d’une indifférence dont a cherché d’ailleurs à profiter Lledo. Avec son jansénisme artificiel et sa ridicule fatuité, Mme Toumi se charge de l’affligeante mission de raconter des sornettes.
La négation du colonialisme

Dans le film de Jean-Pierre Lledo, la réhabilitation du colonialisme emprunte magnifiquement les trois grands postulats : d’abord la «colonisation respectueuse», ensuite la «dévalorisation» de la résistance nationale et enfin la «déligitimation» de l’indépendance nationale, immense échec dont il est temps d’envisager le substitut néocolonial. Dans «Algérie, histoires à ne pas dire», l’idée de la «colonisation respectueuse» est partout : pieds-noirs et indigènes vivaient heureux ensemble. Dans sa réponse passionnée, le cinéaste me traite de «désinformateur» et nie avoir soutenu cette thèse. Or, voilà comment il s’explique lui-même dans le synopsis du film, disponible sur internet : «43 ans après l’exode massif des Juifs et des Pieds-noirs, que reste-t-il de cette cohabitation dans la mémoire des Algériens d’origine berbéroarabo- musulmane ? (…) Les relations intercommunautaires n’ont-elles pas été aussi attraction, respect, reconnaissance et souvenirs heureux ?» Il est quand même stupéfiant que des millions d’Algériens aient vécu dans la misère sous cette «fraternité » et qu’il a fallu qu’ils s’en délivrent pour que leurs enfants accèdent à l’université Pour arriver à sa magnifique conclusion, le cinéaste utilise le procédé du rabotage : il n’y a pas de colons ni de colonisés, juste une seule communauté dans laquelle se retrouvent les bons et les méchants de part et d’autre. «Le mal comme le bien étant bien présents dans chaque groupe humain, l’idée essentielle du film est que la véritable ligne de démarcation entre les hommes, n’est ni la couleur de la peau, la religion, la langue, ni leur origine civilisationelle, mais les valeurs morales positives ou négatives, le rapport à la vie et au travail notamment.»Il ne reste alors plus qu’à déculpabiliser le colon : «Il nous faudra revenir tôt ou tard, de façon critique, sur l'histoire de nos pères, sans animosité mais aussi sans œillère, en cessant de voir la paille seulement dans l'œil de l'autre…», dit le cinéaste. Ce qui l’autorise alors à un syllogisme auquel rêve d’arriver tout bon «nostalgérique » : mettre Aussaresses, le colon tortionnaire, et Ighil Ahriz, la colonisée torturée, torturée, sur le même banc des accusés. «L'Algérie, comme d'autres pays, a eu ses histoires sombres. Pas plus que les cinéastes français ne ternissent l'image de la France, lorsqu'ils évoquent la torture durant la guerre en Algérie, ou les autres côtés sombres de l'histoire de leur pays, je ne considère avoir terni l'image du mien.» Tortionnaires et torturés renvoyés dos à dos par M. Lledo qui, pour l’occasion, se prend d’amour pour l’Algérie comme Tartuffe aima Elmire.
ALN + FLN = GIA
Obéissant aux critères de la nostalgérie, le film dévalorise la résistance nationale en la reléguant au rang d’une abominable «sauvagerie», du même ordre que celle du GIA ou de l’OAS. Tout le long du film l’ALN est présentée comme une armée de cyniques égorgeurs et d’aveugles poseurs de bombes. De ce point de vue, la stratégie des nostalgériques prend avantageusement le relais du «qui-tue-qui ?» Nous reviendrons sur ce dernier point dans de prochaines éditions du Soir. C’est cette «horde» de tueurs qui a commis, sous la bannière de l’ALN, le crime d’arracher par «la barbarie» les pieds-noirs à leurs «frères». Le cinéaste le dit sous forme d’étonnement exaspéré : «Pourquoi le 20 août 1955, l'ALN a-t-elle désigné le «gaouri» comme l'ennemi à abattre ? Pourquoi durant la Bataille d'Alger, le «gaouri» a été visé en tant que tel, au faciès, par des bombes, au lieu par exemple des institutions militaires ?» On en oublierait presque que ces «gaouris» étaient venus occuper une terre et sur des chars d’envahisseurs ! Un demi-siècle après, Lledo repose la question de Bigeard à Ben M’hidi ! Dans le film, Louisette Ighil Ahriz ne répond pas : «Donnez-nous vos chars, nous vous donnerons nos couffins.» Elle dit juste : «Mais comment pouvions nous résister autrement ?» Et c’est ainsi que l’indépendance nationale devient, dans le film, non plus une libération mais une tragédie voulue par les «tueurs de l’ALN et du FLN», le début d’un immense «échec» qui a conduit au terrorisme. Lledo le dit très bien : «C’est l'échec d'une Algérie qui en devenant indépendante n'a pas su rester multiethnique et multiculturelle, puisqu'en 1962 la quasi-totalité de la population d'origine juive et chrétienne quitte précipitamment son pays.» Autrement dit : vous avez voulu l’indépendance, vous aurez la pauvreté et le terrorisme. Surtout le terrorisme, puisque vos enfants auront appris à tuer comme leurs pères : «Au moment où dans mon pays et ailleurs, la «juste cause» autorise à tuer sans état d'âme , ce qui réactualise Camus qui écrivait en 1956 : «Bientôt l'Algérie ne sera peuplée que de meurtriers et de victimes. Bientôt les morts seuls y seront innocents», nous dit Jean-Pierre Lledo. D’où le premier titre du film : «Ne restent dans l’oued que ses galets.» Mais me diriez-vous, comment l’auteur a-t-il pu convaincre ses «acteurs» de se prêter à un tel simulacre ? En leur cachant qu’ils allaient prendre part à une apologie déguisée du colonialisme. La cachotterie coûtera cher à Jean-Pierre Lledo : un de ses personnages principaux, s’apercevant du subterfuge, l’assigna en justice et obtint que fût enlevé tout l’épisode constantinois, amputant ainsi le film de près d’une heure ! La conclusion est que la manipulation vient souvent de là où on ne l’attend pas.
M. B.
(1) et (2) Rencontre organisée mardi 15 janvier par l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris
(3) Histoire de la colonisation : réhabilitations, falsifications et instrumentalisations
Editions les Indes savantes Etudes Asie (315 p.) Paru le 29/11/2007
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